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AUTOMOBILE QUARTERLY

On the development of the Toyota 2000 GT, by it's designer

Vol 6, No 2, 1967
Texte et photos: by it's designer (Satoru Nozaki)

Raconté par son designer dont le nom est resté secret longtemps, cet article est capital pour comprendre comment Toyota a pu créer la 2000GT.

 

Article traduit:

Les voitures de hautes performances viennent et s’en vont, en laissant dans leur sillage à peine plus qu’une anecdote pour les historiens de l’automobile et une poignée de propriétaires mécontents. Trop souvent aussi, elles ne satisfont pas, soit aux performances annoncées, soit à la sécurité attendue, et plus vite elles disparaissent de la scène automobile, mieux c’est. Mais parfois, dans le flux et reflux des vagues de l’automobile, il arrive que le jeu de la sélection nous apporte une véritable et remarquable voiture de sport, une qui corresponde en tout point à ce que son constructeur avance. Il n’y a pas de doute que l’excellente Toyota 2000 GT est l’une d’elles.

Présentée au salon de l’automobile de Tokyo en octobre 1965, la 2000 GT semblait trop belle pour être vraie. Un 6 cylindres de 2 litres à 2 arbres à cames en tête et 4 roues indépendantes, le tout enveloppé d’une carrosserie de coupé 2 places remarquablement élégant – la voiture était le point de mire du salon. Même si cette auto n’était qu’un prototype (le second),  le constructeur a clairement annoncé que c’était un prototype de production. A l’opposé d’être un autre dream car destiné à sonder l’opinion du public, Toyota était très confient quant au potentiel des performances aussi bien sur le marché automobile que sur la route. Pour le premier point, c’était encore à prouver, par contre le deuxième avait été amplement démontré par l’établissement de nombreux records mondiaux et internationaux sur le circuit de Yatabe l’année précédente. Actuellement, et au meilleur moment,  Toyota a aussi accompli le formidable coup publicitaire de faire apparaître la 2000 GT dans un film de James Bond.

L’industrie automobile japonaise prend de l’expansion à un rythme stupéfiant, avec une croissance de plus de 50% juste pour l’année dernière. L’influence de leur première stratégie d’exportation concertée se fait déjà sentir sur le marché mondial, et ce n’est que les prémices de ce qui va arriver. La capacité de production automobile du Japon a maintenant dépassé les besoins de son propre marché, avec la conséquence que l’exportation est devenu une véritable nécessité, plutôt qu’un luxe réconfortant. On peut se demander combien de constructeurs occidentaux somnolent paisiblement en ce moment, alors que le puissant potentiel industriel du Japon s’apprête à envahir leurs marchés. Il y en a probablement plus d’un.

L’impact du Japon sur l’industrie automobile mondiale va être énorme, ce serait une grave erreur de croire que si l’on ignore simplement la menace, celle-ci s’en ira. Celui qui aurait une telle attitude serait bien avisé de prendre connaissance de l’exposé suivant de la part de l’un des ingénieurs automobile leader du Japon – et le dessinateur de la Toyota 2000 GT. Ses remarques reflètent une parfaite connaissance du marketing moderne, une expérience avertie d’ingénieur, et une sorte d’enthousiasme clairvoyant que l’on ne rencontre que rarement dans l’industrie automobile occidentale. En reconnaissance, nous lui offrons le « haiku » ci-dessus.

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L’article suivant a été préparé pour AUTOMOBILE Quarterly par le designer de la Toyota 2000 GT. Chez Toyota, il est de règle que le mérite ne doit pas revenir à une personne en particulier mais à l’ensemble des employés, toute production étant le fruit des efforts de la famille Toyota. Bien que nous aurions eu plaisir à le faire connaître, nous honorons naturellement la demande de Toyota de taire le nom de l’auteur.

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L’étranger familiarisé avec le potentiel de l’industrie japonaise et ses progrès technologiques peut probablement comprendre le récent développement des appareils photo, des radios, des motos, de l’industrie navale et automobile au Japon. Pour ceux qui ne sont pas familier à ce contexte, la croissance a dû leur apparaître comme une explosion. Les industries européennes et américaines sont confrontées à de nombreux problèmes, notamment de main-d’œuvre et de marchés saturés. Au Japon, la production et la consommation continuent de croitre, cependant il semble que le développement technologique et l’investissement de capitaux ont un impact immédiat ici.

Il y a probablement une grande différence entre les problèmes rencontrés par un designer automobile aux USA et un autre au Japon. Aussi, avant d’esquisser quelques-unes de nos expériences durant le développement de la Toyota 2000 GT, il peut être utile de présenter mon opinion personnelle – ou ma philosophie de dessinateur – en ce qui concerne les voitures de sport, par rapport aux voitures familiales.

A l’origine, les sports sont des choses physiques dans lesquelles l’homme teste les limites de son corps sous certaines conditions. D’un autre côté, le sport automobile implique un contact physique entre un homme et une machine. Nous parlons d’automobile, mais c’est aussi valable pour un voilier ou des skis. Les outils, dans chaque sport, doivent être une extension précise des réflexes physiques de l’homme ; ils doivent posséder une conception de base qui permet de transmettre ce sentiment instinctif vers lui. Moins il y a d’autres ingrédients, plus cette extension  est performante en tant que machine de sport. Dans cet esprit, la Formule 1 est la machine ultime.

Une voiture de Grand Tourisme comme la Toyota 2000 GT n’est pas une véritable voiture de course. Mais quelqu’un qui la conduit peut prendre du plaisir en atteignant des performances approchant celles d’une machine de sport, tout en étant dans une atmosphère de haute qualité. Alors, la possession d’une telle voiture procure la satisfaction de disposer d’un article de luxe.

Une voiture de sport ou de course est construite dans un but précis et limité, il est donc relativement facile de concevoir son design. Par contre, pour une voiture familiale de grande série, il y a une grande quantité de problèmes qui se présentent au concepteur. Dans un marché où les intérêts économiques et ceux des consommateurs s’opposent complètement, les difficultés sont trop nombreuses et dépassent les compétences du designer seul.

L’une des raisons pour lesquelles les voitures des années 1920 à 1930 ont du succès aujourd’hui dans les collections est que les intentions du designer sont clairement exprimées. La personnalité de ce dernier parle au conducteur avec force. Dans ces automobiles il y a une communion spirituelle  entre l’homme et une forme de culture. Aux Etats-Unis, avec l’immense revenu national et l’écrasante domination de la production automobile, est-il trop de demander une telle culture automobile de nos jours ?

Une bonne raison du vif succès de la 2000 GT est que Toyota a spécialement monté une petite équipe pour son développement et est intervenu le moins possible dans sa conception. Je ne crois pas que cette méthode puisse être appliquée à une berline de grande production, mais elle a prouvé son efficacité dans le cas présent. La création d’une automobile demande une somme considérable de personnel et de temps, normalement il n’est pas rationnel de constituer une équipe spéciale. Pour la 2000 GT, la tâche ne s’est pas organisée de façon traditionnelle mais a pris un chemin différent.

L’équipe chargée du développement a été mise en place durant l’été 1964. Il comprenait le directeur en charge du projet et le chef designer qui supervisaient le travail de trois ingénieurs spécialisés, eux-mêmes responsables pour le développement du moteur, du châssis et de la carrosserie.

Le concept de base de la 2000 GT était le suivant : en tant que voiture de Grand Tourisme elle doit posséder les équipements et dispositifs requis pour une conduite de haut niveau. Au contraire du concept habituel d’une voiture de sport qui présuppose un certain manque de confort et de sobriété, il doit y avoir une atmosphère de confort et d’aisance. Ce doit être le genre de voiture dans laquelle son propriétaire peut aussi bien apprécier un tour en ville tranquillement, comme une virée à toute allure dans la campagne.

Nous pensions également qu’elle ne devait pas être limitée par la condition du marché, ni par les routes japonaises, et qu’il fallait qu’elle soit destinée au marché international. Nous devions constamment garder à l’esprit le degré de prestige que nous voulions donner à une voiture construite en petite série. Elle devait aussi servir de base pour le futur développement d’un voiture de course, et en même temps, contribuer à élever le l’image de la marque Toyota. Enfin, elle devait être conçue de manière à ce que l’on puisse facilement enlever les garnitures faisant d’elle une GT, pour la transformer en voiture de compétition.

L’idée initiale a été gribouillée sur le dos de calepins et de bloc-notes qui ont disparus depuis longtemps. J’ai ensuite réalisé plusieurs dessins afin de transmettre mes idées au responsable du projet, après quoi un modèle en argile a été sculpté à l’échelle 1/5.

Je n’ai pas voulu réaliser un modèle en argile à l’échelle 1/1 mais nous avons construit un gabarit en bois. Ce dernier devait servir de patron pour façonner les tôles de la carrosserie, c’était notre unique possibilité de nous rendre compte de la forme réelle de l’auto en grandeur nature. (Chez Toyota normalement, lorsque l’on conçoit une automobile de série, il est réalisé des centaines de sketches, des dizaines de dessins, plusieurs maquettes à échelle réduite et un modèle en argile grandeur nature).

Du point de vue technique, nous aurions voulu faire des essais en soufflerie avec une maquette. Mais par manque de temps, ça n’a pas été possible. Des tests en soufflerie apportent beaucoup de problèmes. Je considère que des essais sur route avec une voiture réelle ont plus de valeur. A l’avenir, j’espère pouvoir expérimenter un certain nombre d’idées sur une version course de la 2000 GT. Malgré tout nous avons mis beaucoup d’attention à soigner l’aérodynamique lors de la conception. Il en a résulté que nous n’avons rencontré absolument aucuns problèmes avec les prototypes. Honnêtement, j’ai personnellement traqué tout ce qui pouvait poser problème pour pouvoir améliorer l’aérodynamique de l’auto durant sa phase de développement. Tout cela ne m’a laissé qu’un sentiment de déception.

Bien sûr, dès le début, nous avions projeté de la gratifier d’une ligne adéquate pour une voiture de Grand Tourisme. Toutefois la priorité a été donnée à l’aérodynamique partout où ce facteur était important ; là où il ne jouait pas de rôle,  la prévalence est revenue au design, à la beauté de la ligne.

A propos des facteurs fonction et élégance, notre position initiale était de parfois faire une nette différentiation entre ces deux éléments, et parfois de les combiner ensemble tout en les maîtrisant.

La même remarque peut être faite sur la ligne extérieure et l’aménagement intérieur. En d’autres termes, alors que la ligne de la carrosserie est d’avant-garde, l’allure de l’intérieur souligne un aspect conservateur. Avec ces deux éléments directement opposés, réagissant aussi fortement que possible l’un contre l’autre, nous visions à créer un style distinct. Cela pour dire que notre idée de base était la suivante, si la forme d’une voiture peut évoluer d’année en année, les exigences matérielles du conducteur restent pratiquement les mêmes.

Pour résumer, voici une voiture nouvelle. Son design est très avant-gardiste du point de vue fonctionnel et esthétique. En fait, elle est tellement belle qu’au premier abord elle semble inaccessible, mais une fois que l’acheteur potentiel s’assied à l’intérieur, il a l’impression qu’il a conduit cette voiture depuis des années. Le concept général de la Toyota 2000 GT cherche à donner l’effet de ces puissants contrastes sur le client éventuel.

Une forte cohésion d’esprit a uni les différentes personnes chargées de l’élaboration de la carrosserie, du châssis et du moteur. Par conséquent je n’ai pas senti qu’il y ait eu la moindre limitation dans la conception. Toutefois un certain nombre de points ont posé des difficultés à la création de l’intérieur. Pour réduire la surface frontale et augmenter la stabilité directionnelle, nous avons réalisé une voiture aussi basse que possible. Cependant, il n’était pas possible de rabaisser la culasse du moteur à double arbres à cames en tête.

Le moteur de la 2000 GT est une version améliorée du moteur type M de la Toyota Crown. L’élaboration de ce moteur s’est déroulée un peu en avance sur le reste du projet. A un moment nous pensions utiliser une version modifiée de notre V8. Mais comme nous avions déjà pris la décision d’un moteur à double arbres à cames en tête, le V8 aurait nécessité un compartiment moteur très grand. Alors nous avons opté pour le Model M avec ces 6 cylindres en ligne. Je crois que l’ingénieur moteur a eu plus de difficulté que nous autres – des problèmes comme pour positionner les tubes d’échappements et la marmite de silencieux pour obtenir des performances optimales.

A cause de la loi américaine qui limite la hauteur minimum des grands phares à 24 pouces (60 cm), ces phares semblent anormalement hauts sur cette voiture. S’ils avaient dû être fixes, ils auraient  gêné la vision vers l’avant. C’est pourquoi j’ai choisi un mécanisme rétractable afin de baisser ces protubérances en conduite de jour. Pour une question de style, il aurait été désirable qu’ils pivotent à 180°, mais cela aurait occupé trop de place, alors j’ai opté pour le système actuel. Je préfère la forme des phares sur le prototype que sur la version de série. Ça ne me satisfait pas.

En outre, la loi des Etats-Unis stipule que les phares escamotables doivent sortir lorsqu’on les allume, et que les feux arrières et les lumières de directions doivent éclairer depuis l’arrière du coffre à bagages. Nous n’avons rien pu faire pour cela.

Nous avons également du raccourcir les rails de réglage des sièges de deux pouces (5 cm). L’autre solution était d’agrandir la caisse de deux pouces en largeur et en hauteur, et cela était hors de question. En conséquence, 2% des Américains manqueront de place.

Nous avons résolu d’innombrables problèmes de ce genre. Nous avons passé des moments difficiles à régler des soucis majeurs, et ce fut une grande satisfaction de constater que nous avions surmonté toutes les difficultés et que nous étions finalement arrivé à un superbe produit.

En examinant de plus près quelques difficultés auxquels sera confronté le styliste automobile de ces 10 prochaines années, on peut voir la nécessité de mettre au point  un système permettant d’élever la qualité et l’efficacité, prenant en compte un caractère différent et négociable, afin d’acquérir une connaissance accrue de la demande sur le marché mondial. Parmi les problèmes que les constructeurs automobiles devront étudier, il est celui de déterminer ce qui convient le mieux au consommateur, et de développer le courage et l’aptitude pour réaliser ce que le l’usager doit avoir à une époque où la tendance est à la recherche de profit.

Quelle sera la fonction de l’automobile dans le future ? Nous devons prendre en considération les changements qui surviendront dans le rôle même de l’automobile, qui est utilisée aujourd’hui pour le transport de personnes et de marchandises, et pour le plaisir de conduire. Ce rôle sera influencé par les conditions géographiques et sociales dans lesquelles le véhicule sera utilisé.

Pourtant, si je donne libre cours à mon imagination, je dirais que le plaisir sera un élément plus important  dans l’automobile de demain. Son rôle actuel sera étendu et deviendra plus spécialisé. A l’avenir, il ne sera peut-être plus approprié de parler d’ « automobile » pour désigner un véhicule équipé d’un système de contrôle automatique, ou encore de voiture à effet de sol.

D’un autre côté, l’automobile ne sera pas le moyen le plus efficace de transport en commun à grande vitesse entre les villes. Depuis plus d’un siècle que l’homme a inventé des moyens de locomotion mécaniques, certains de ceux-ci ont déjà été abandonnés. Dans les prochaines 25 années, ce processus va s’accélérer. Probablement, les seules utilisations des automobiles qui ne vont pas disparaître seront le moyen de transport de porte à porte et la compétition. Le bateau à voile qui a sillonné les océans pendant 6000 ans n’est plus utilisé pour transporter des marchandises, mais uniquement pour le sport. Cela étant dit, on ne se trompera pas en disant que l’automobile va devenir plus aérodynamique, plus conservatrice ou encore plus rococo sous certains aspects. L'avenir nous le dira.

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